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Réalités algériennes et perspectives du socialisme

"Aucun rapport de forces n'est immuable" -Mao Tsé Toung

L’impasse libérale : quelles issues ?
Par Abdelatif Rebah
La panne structurelle du développement
La caractéristique essentielle de la situation actuelle c’est l’impasse de la voie conçue comme substitut à celle de développement national de la décennie 1970, impasse dont les manifestations caractéristiques sont l’échec du triptyque libéral : libre –échange-privatisation-IDE qui en constituait la clé de voute et son corollaire, la panne structurelle du développement qui dure depuis près de trois décennies..
Le libre échange a été une opération à pure perte pour l’économie algérienne. Quant au capital algérien, investisseur, preneur de risques, vecteur d’innovation, il est inexistant. Le capital étranger, lui, n’a d’yeux que pour l’or noir ; pour les autres secteurs, des IDE au compte-goutte et à puissant effet de levier (cf. l’échec de la privatisation d’El Hadjar).
La panne du développement
Malgré des revenus pétroliers qui ont dépassé, durant ces trente dernières années, les 1 000 milliards de dollars, soit près de trois fois plus que le montant qui a financé les plans triennal, quadriennaux et quinquennal du développement (1967-1984), aucune dynamique réelle de développement n’a été engendrée. Les revenus pétroliers abondants ont nourri le cycle importation-revente, au détriment de l’investissement productif, industriel, tout particulièrement.
Une structure économique dévitalisée
Une impasse matérialisée par une structure économique dévitalisée et impuissante à répondre au défis de l’emploi, de la compétitivité, du progrès, et un État administrativement et techniquement affaibli qui a été amputé depuis plus de trente années de ses instruments de planification, et donc de toute dimension à moyen et long termes du développement économique, de ses outils d’intervention économique et de son encadrement qualifié et expérimenté
Le changement de cap a profondément bouleversé la structure de l’économie algérienne au détriment des secteurs d’activité et de l’emploi productifs. Depuis la fin des années 1980, ce n’est plus la construction de la base productive du pays, ni la mobilisation de son potentiel scientifique et technique qui profitent de la principale ressource du pays, les revenus pétrogaziers. Le statut des richesses hydrocarbures dans l’économie algérienne, c'est-à-dire leurs usages économiques et sociaux, a été reconfiguré, au détriment de la sphère productive et du travail productif.
La composition sectorielle du PIB a considérablement changé depuis 1990. Elle illustre, d’abord, le déclassement du secteur industriel. L’industrie, socle de la construction du système productif et d’une économie pérenne a vu sa part dans le produit intérieur brut régresser de manière continue. La contribution de l’industrie au PIB tombe de 13,1% à moins de 6%. On notera également la part déclinante du secteur des hydrocarbures qui baisse de 24,5% en 1990 à 19,7% en 2017.L’essor des services marchands est attesté par la montée régulière de sa part relative dans le PIB, gagnant 5 points entre 1990 et 2018.
Une structure d’activité économique dominée par les secteurs du BTP et des Services, 21% et 48%, respectivement, de la VA hors hydrocarbures, en 2019, peu porteuse de potentialités géneratrices d’emplois pérennes et qualifiés et peu favorable à l’émancipation de l’emploi féminin et aux diplômeés de superieur et qui consacre la prépondérance des emplois précaires, à bas salaires et non déclarés et des emplois dans la fonction publique.
La privatisation de la structure juridique de l’économie algérienne ne s’est pas traduite par le développement de l’investissement et de l’emploi productifs. Désormais majoritaire dans l’activité économique, le secteur privé qui emploie environ 60% de la population occupée, est constituée à 90% de TPE (très petites entreprises), des entreprises familiales, sans consistance productive, ni managériale, ayant une faible capacité de création d’emplois.
Une croissance économique sans consistance productive
La croissance économique ne génère pas autant d’emploi qu’il en faudrait pour absorber la demande. La croissance du PIB hors hydrocarbures et hors agriculture, enregistrée durant les années 2000-2014, période d’aisance financière remarquable, a été stimulée par les activités de services 7,7%/an et le BTP, 8,5 %/an. Un dynamisme fortement corrélé à celui des importations qui ont augmenté à un rythme de 13,8%/an dans la même période. 70 % des financements du plan (2006-2014) ont été consacrés aux importations. L’énergie électrique a connu également une forte croissance 6,5%/an, durant cette période, paradoxalement dans un contexte de contre-performances durables du secteur hydrocarbures et de désindustrialisation. Entre 1990 et 2019, l’indice de la production industrielle publique des branches de l’Energie électrique, des Hydrocarbures et des Matériaux de construction augmente respectivement de 5,5%/an, 0,5% /an, et 1,1%/an tandis que celui des industries hors hydrocarbures a pratiquement stagné à 0,1%/an et que l’indice des industries manufacturières a baissé à un rythme de –2,1%/an.
Depuis la fin des années 1980, ce n’est plus la construction de la base productive du pays, ni la mobilisation de son potentiel scientifique et technique qui profitent de la principale ressource du pays, les revenus pétrogaziers.
Le statut des richesses hydrocarbures dans l’économie algérienne, c'est-à-dire leurs usages économiques et sociaux, a été reconfiguré, au détriment de la sphère productive et du travail productif. Le trait caractéristique fondamental de la rupture de la relation originaire, pétrole-développement est l’allocation à des fins improductives d’une ressource rare et non renouvelable. Les revenus pétroliers nourrissent désormais le cycle importation-revente. Naguère levier de développement productif et instrument d’émancipation sociale, les ressources pétrolières et gazières sont devenues facteur de régression économique, source d’enrichissement mafieux et parasitaire et creuset des inégalités sociales.
A l’économie structurée et enregistrée, s’est substituée une économie informelle qui règne sur 30% à 70% de l’activité économique selon les secteurs et occupe 4 millions environ de personnes, jeunes, pour la plupart.
Le gâchis des forces productives
L’emploi en Algérie rend compte toujours d’un faible niveau du taux d’activité 40%, en 2020, selon la Banque mondiale ; moins de la moitié de la population en âge de travailler qui exerce une activité rémunérée ou est en chômage. Ce taux d'activité de 40% est parmi les plus bas au monde(Afghanistan 47%, Arabie saoudite 55%, Maroc43%, Tunisie 46%, Egypte 43%). Décliné par sexe, le taux d’activité était de 66,8% chez les hommes et de 17%, chez les femmes (ONS 2019). La population active féminine représente 25%, à peine, de la population active masculine. (Selon les données de la Banque mondiale, en 2017, le rapport taux d’activité femmes/hommes était de 22,4% en Algérie, contre 28,9% pour l’Afghanistan et 38,8% pour la Tunisie). En 2019, sur 100 femmes âgées de 15 ans et plus, 14 travaillent, 4 sont au chômage, 11 sont en formation, 5 sont retraitées et 58 sont au foyer.
Le taux d’emploi (ou ratio global emploi total/ population correspondante) est de 37,4%.
Décliné par sexe, le taux d’emploi atteint 60,7% auprès des hommes et 13,8% chez les femmes. La population occupée féminine ne représente que le cinquième de la population occupée masculine.
La montée de la précarité
----Recul de la population des salariés
Les chiffres de l’ONS attestent d’une proportion de 67,8% de salariés en 2019 contre 81,5% en 1987 et 77,2% en 1977.
-----Baisse du taux d’emploi permanent et augmentation du taux d’emploi temporaire.
Dominance des emplois non permanents qui ont vu leur part se multiplier par 2,6 fois entre 2000 et 2019.
---Recul du salariat permanent à peine de 38,5 %
---Montée des salariés temporaires :
Le nombre de salariés non permanents passe de 1,2 million de personnes en 2000 à 3,174 millions de personnes en 2019. Leur part dans l’emploi total est passée à 38,7% contre 19% en 2000. Quant à leur part dans le salariat, elle est de 49,7%% en 2019.
Prés de 50% des occupés, soit près de cinq millions de personnes ne sont pas déclarés à la sécurité sociale.
L’emploi précaire non déclaré frappe de plein fouet les jeunes puisqu’il absorbe près de 90% de la catégorie d’âge des 15-24 ans, 92% de la main-d’œuvre âgée de 15 à 19 ans et 26,3% de la main-d’œuvre n’ayant pas dépassé le cycle secondaire..
Il s’agit souvent d’une population jeune, sans qualification et exerçant dans le secteur privé. En effet, neuf occupés jeunes de 15-24 ans sur dix (88,2%) travaillant dans le secteur privé ne sont pas affiliés à la sécurité sociale, dont trois quarts n’ont aucun diplôme
Les emplois créés sont, surtout, le fait de secteurs de très faible valeur ajoutée ou improductifs, rentiers et parasitaires, en fait, jobs de faible qualification, non déclarés, aux bas salaires, aux heures supplémentaires non payées ou non majorées, des emplois qui ne produisent pas des effets d’intégration économique et sociopolitique. Bien au contraire, les emplois ne permettent pas d’accéder à un niveau de vie décent. Les travailleurs accèdent à peine à un segment de la consommation et autant dire qu’ils consomment pour subsister. Nous sommes dans une étape où l’emploi sert juste à la reproduction de la force de travail, les niveaux de salaires n’offrent guère la possibilité de satisfaire aux besoins les plus élémentaires comme le logement, la santé l’éducation et autres.
---Chômage des jeunes, des femmes et des diplômés
Le taux de chômage est de 11,4 % contre 29% en 2000, mais son aspect inégalitaire se manifeste à travers d’importantes disparités selon le sexe, la classe d’âge et le niveau d’instruction. Ainsi, le taux de chômage chez les hommes est de 9,1% contre 20,4% chez les femmes, tandis qu’il est de 26,9% chez les jeunes de 16 à 24 ans. Si le taux de chômage global est de 11,4%, il est de 18% chez les diplômés du supérieur mais les femmes forment 72% des diplômés du supérieur au chômage, alors que l’économie nationale «n’a pas encore atteint le stade de développement lui permettant d’employer toutes les compétences universitaires». Avec une population étudiante qui se chiffre à un million et demi de personnes, le pays est face au défi immense de construire une économie dotée d’un rythme élevé d’absorption productive de la force de travail instruite, éduquée et de plus en plus féminine.
Une voie sans issue
Comment la structure actuelle de l’économie dominée par les activités rudimentaires de service et informelles peut-elle prétendre offrir une perspective de débouchés appropriés à une population formée de plus en plus nombreuse et à fortiori répondre aux défis de l’insertion internationale dans un monde en convulsions ?
Comment un tel tissu économique si peu diversifié, pauvre technologiquement comme sur le plan managérial et donc inadapté aux ambitions de croissance, de création d’emplois et de réduction des importations et a fortiori de compétition externe, peut-il constituer un «pilier» du développement du pays, comment peut-il assurer la diversification sectorielle productive de notre PIB et la réorientation en conséquence de nos relations économiques internationales.
Comment peut-il permettre de s’insérer dans la division internationale du travail qui se met en place, dans la situation la moins défavorable à l’Algérie. Comment, enfin et surtout, un tel tissu économique peut-il ambitionner de donner des perspectives d’avenir à une jeunesse instruite et éduquée et dont la composante féminine est grandissante, et ouverte sur un monde en pleine évolution scientifique et technologique? En 2015, la part de la main-d’œuvre ayant un niveau universitaire était de 18% et celle de niveau secondaire de près de 25%, tandis que la part de la main-d’œuvre de sexe féminin, elle, a crû de 46% entre 1990 et 2012.
Le ‘’basculement à l’économie de marché’’ a bouleversé la structure sociale algérienne. Aujourd’hui, ce qui structure la réalité sociale, c'est la dynamique des inégalités croissantes qui séparent le haut et le bas des revenus, des inégalités de patrimoine, biens fonciers ou immobiliers, produits financiers, ressources en devises, des inégalités en termes de mobilité internationale et de statut citoyen y afférent, des inégalités de statut d’emploi, permanents, occasionnels, chômeurs. A la montée impressionnante des couches sociales liées aux libéralisations, employeurs, professions libérales, élites mondialisées, répond la prolifération de l’informel et la précarisation croissante des couches sociales liées au salariat avec l’apparition de la pauvreté, la généralisation du phénomène des émeutes des quartiers trop délaissés et des harragas.
Trois décennies de basculement au capitalisme ont plongé la base productive dans un état de destruction avancé extrême et ont produit une économie désarticulée, comme en atteste, entre autres, le développement fulgurant du secteur informel. Une économie dominée, quasi totalement dépendante à l’égard de l’extérieur, en matière d’approvisionnements et de technologie dont les vulnérabilités et handicaps structurels liés à son statut exclusif de mono exportateur d’énergies, se sont aggravés. Les rendez-vous pris, dans les années 1960, avec la croissance économique «autoentretenue», «l’embrayage technologique endogène», le progrès social, sont restés lettre morte..
C’est l’impasse du point de vue des perspectives de l’Algérie
REPARTIR SUR DES BASES VERITABLEMENT NOUVELLES: LA PROBLEMATIQUE DU RETOUR A LA STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT NATIONAL
Comment sortir du sous-développement? Près de six décennies après l’indépendance, la question fondamentale des voies à prendre pour concrétiser les idéaux de Novembre 1954 visant à faire de l’Algérie un Etat national souverain, juste, prospère et solidaire, est toujours en jeu.
Toujours à l’ordre du jour, la question de la construction d’une économie productive capable de répondre aux besoins fondamentaux énormes de la société en matière de nutrition, de santé, d’éducation, de mobilité, de logement, une économie assise sur une base productive nationale capable d’absorber une main d’œuvre de plus en plus instruite et féminine et de se mesurer aux grands challenges technologiques et industriels porteurs de développement et facteurs d’échanges équilibrés et mutuellement bénéfiques, pour sauvegarder notre souveraineté et améliorer la richesse nationale.
La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l’indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et atteinte sa phase de maturité. L’expérience industrielle de l’Algérie a été de trop courte durée pour enclencher le processus de changement dans ses multiples facettes. L’apprentissage technologique qui aurait permis à la main-d’œuvre d’assimiler la logique de fonctionnement d’un système productif à base industrielle n’a pas eu lieu et l'économie est loin encore d’avoir atteint un tel stade de développement pour offrir aux travailleurs qualifiés le débouché correspondant.
L’impact du démantèlement libéral a été d’autant plus destructeur qu’il ciblait un appareil industriel érigé ex-nihilo, non encore sorti de ses limbes, sachant de surcroit que cette expérience s’inscrivait en porte-à-faux par rapport au dogme qui stipulait qu’«en matière de tissu industriel, la génération spontanée n’existe pas ». Car, selon cette affirmation, les entreprises naîtraient de savoir-faire ou de structures préexistant à leur création et, par conséquent, «on peut faire ressurgir des éléments anciens mais pas les faire naître du néant» .
L’enjeu fondamental
Un axe directeur : la diversification productive du PIB, des relations économiques internationales et des échanges commerciaux.
L’enjeu essentiel, le cœur du changement structurel, est de passer d’une économie dominée par un secteur extraverti, technologiquement enclavé, tributaire, de surcroit, des fluctuations de la conjoncture pétrolière internationale, coexistant avec des activités faiblement productives, où les possibilités d’évolution technologique et de gains de valeur ajoutée sont limitées, vers une économie enracinée, entrainée par des activités fortement productives, offrant de meilleures perspectives d’absorption productive d’une main d’œuvre instruite et qualifiée, nombreuse et de plus en plus féminine, et des possibilités d’innovation et d’accroissement de la valeur ajoutée. . Une économie basée sur l’effort endogène d’innovation technique, économique, managériale, institutionnelle, sociale, en appui sur la mobilisation des facteurs scientifiques et technologiques nationaux.
Les caractéristiques démographiques, agricoles et financières qui ont rendu impératif, dans les années soixante, le choix de l’industrialisation demeurent quasiment inchangées.
Cet impératif découle à la fois de la faiblesse de la base agraire du pays, qui commande de construire le tissu économique qui va supporter une agriculture dont les handicaps sont structurels : pauvreté en ressources naturelles renouvelables, terre et eau, productivité du sol déclinante, rendements de blé très bas, de la nécessité d’offrir des emplois à des hommes et des femmes dont le nombre est croissant et les taux d’activité en augmentation, mais aussi de la nécessité de préparer minutieusement la relève des exportations en hydrocarbures.
Quelles alternatives ?
L’alternative du retour à l'État développementaliste est incontournable
Il faut partir de la réalité objective de notre économie et de ses handicaps historiques, de l’extrême faiblesse de son tissu productif, industriel en particulier, et de ses capacités managériales, en fait, pour tout dire, de l’absence encore de tissu industriel et entrepreneurial enraciné et d’un Etat doté de capacités de régulation éprouvées.
L’Etat s’est privé, tout le long de ces trois dernières décennies, des moyens d’orienter et de stimuler le développement industriel national ainsi que de promouvoir l’expansion des activités industrielles en rapport avec les besoins du marché intérieur et de l’emploi.
Les opérateurs économiques de grande envergure, tels les grands complexes de l’ère de l’industrialisation qui auraient pu être des incubateurs de création de PME/PMI, ayant disparu, les PME ne parviennent pas à s’arrimer à des entités pouvant jouer le rôle de locomotives.
La nature ayant horreur du vide, à l’économie structurée et enregistrée, s’est substituée une économie informelle qui règne sur 30 à 70% de l’activité économique, selon les secteurs, du textile aux médicaments en passant par les cosmétiques, les chaussures, les pièces détachées ou encore les équipements informatiques. En vérité, en Algérie, l’Etat n’a pas encore épuisé sa mission historique dans la construction d’une économie nationale pérenne.
L’Etat doit jouer le rôle de preneur d’initiative et de risque. Lorsque l’économie n’existe pas, on ne peut faire l’économie de l’Etat, écrit pertinemment l’auteur d’un article au titre fort à propos : «L’entrepreneur schumpétérien a-t-il jamais existé »
Un Etat développementiste s’appuyant sur un secteur public fort rénové dans le cadre d’une économie mixte. Dès lors qu’il est admis que «l’Etat doit être fondamentalement développementaliste» pour reprendre une formule mise à l’honneur par les économistes de la commission des Nations unies pour le Commerce et le Développement, comment le faire rentrer dans ces nouveaux habits ?Quelles sont les transformations à opérer et les conditions à réunir pour que l’Etat puisse d’abord, repousser les limites actuelles de ses marges de manœuvre puis se donner les capacités d’agir en tant que moteur et acteur majeur incontournable de la sortie du sous-développement et renforcer ses fonctions de garant de l’équité et de réducteur des inégalités et des injustices, du respect des priorités productives et environnementales ?
L’alternative du retour à l'État développementaliste est incontournable. Cela implique la priorité politique fondamentale de la restauration de l’Etat national et de ses institutions gravement amoindries et affaiblies. Nous avons également besoin d’un Etat, garant des priorités productives, sociales et environnementales, doté des outils d’une régulation économique moderne et performante, consacrant l’ère de la planification. Cette bataille est de grande envergure et de longue haleine, et se déploie sur les plans politique et idéologique autant qu’économique. Un Etat dont les fondements sont transparence, impartialité et contrôle. Au risque de le répéter, contrôle et évaluation des politiques publiques, de l’emploi des fonds publics sont devenus, en effet, des modalités indissociables du fonctionnement de l’Etat démocratique moderne. Les citoyens veulent s’assurer du bon emploi des fonds publics. Le besoin de transparence qu’ils ressentent et revendiquent va de pair avec sa volonté de ne pas subir le fait du prince de technocrates ou de bureaucrates.
Notre pays n’a pas d’autre choix , en effet, que de renouer avec ce qu’il y a de meilleur dans la stratégie de développement national de la décennie 1960-1970 où, faut-il le rappeler, l’objectif stratégique est de passer de l’étape de l’économie primaire extravertie à une première phase de l’industrialisation substitutive. Les firmes multinationales qui y contribuaient très largement, dans un cadre contractuel, ne contrôlaient pas l’ensemble du système de décisions économique. Elles n’avaient pas une influence déterminante dans le choix des critères de l’allocation des ressources, dans l’utilisation des facteurs de production et dans le choix des technologies tout comme dans l’évolution du modèle de consommation. Ce sont les besoins des Algériens qui déterminent les choix et le niveau des investissements à réaliser. Un modèle historique de développement, résultat, il faut le rappeler, de l’action conjuguée de trois facteurs, dont le poids a été inégal :
a) la stratégie formulée par les pouvoirs publics,
b) le comportement des acteurs mis en scène dans cette stratégie,
c) l’incidence plus ou moins forte du contexte international sur le pays.
Un modèle que l’on peut formuler, aujourd’hui, dans les termes suivants :
Une vision de long terme qui traduit l’ambition de construire une économie productive performante, un Etat garant des priorités productives et environnementales, des institutions solides et compétentes dans le rôle de vecteur de cette ambition, des acteurs efficaces et engagés parce qu’impliqués, des organes de contrôle indépendants et représentatifs, un climat politique et social de mobilisation démocratique pour le développement national. Il faut tirer, en effet, les leçons de ce qui a contribué au non-aboutissement de la décennie du développement. Notamment, la sous-estimation à la fois de l’importance du facteur démocratique, du danger d’une insertion non maitrisée dans les circuits capitalistes internationaux et de celle de la mobilisation des facteurs scientifiques et technologiques nationaux. La construction d’une économie productive est loin de se réduire, en effet, à une question de cadre institutionnel incitatif adéquat, voire de bonnes techniques d’ingénierie financière ou d’habileté de managers compétents capables d’opérer les bons choix avec les « données du marché».
Un secteur public entendu comme principal instrument de la maîtrise économique
Là où est la propriété, là est le pouvoir. Plus que tout, il faut veiller à doter l’Etat d’une capacité effective d’exercice de sa souveraineté et de son autonomie. Les questions de la relance de l’industrie : quelles branches ? Quel contenu technologique ? Quelle gamme de produits ? Quel rythme de croissance ? etc.etc, sont des questions essentielles auxquelles le primat du préalable de la rentabilité et le prisme étroit et étriqué de l’impératif du profit ne donnent qu’une seule et unique réponse : celle qui répond aux débouchés marchands et à une demande solvable. Dans le contexte de marchés soit absents, soit inaptes à assurer une allocation dynamique des ressources, socialement optimale.
Les enjeux de l’industrie sont trop importants pour l’avenir du pays pour être livrés au jeu désordonné des forces du marché et aux humeurs et aux caprices de la mondialisation.
Le nécessaire retour à la planification
Depuis 1990, l’Algérie navigue à vue, sans boussole stratégique sur le plan économique. Le plan n’est plus le principe régulateur de l’économie. Le ministère du Plan a été supprimé en novembre 1987 et remplacé par un Conseil national de planification, simple instance de coordination coiffée par un ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de la planification, poste qui sera, lui-même, supprimé définitivement en 1997 . Des niveaux de dépenses publiques considérables ont été conçus et mis en œuvre en dehors de toute planification et de plans et sans organes de contrôle appropriés!
On a laissé au «libre jeu des forces du marché» le soin de piloter le développement économique. Que ce fut un fiasco, il suffit, pour s’en convaincre, de voir ces fameuses «forces» à l’œuvre, suivant en cela leur inclination naturelle: la prolifération de l’informel, la «spécialisation» dans l’import-import, le simulacre d’«industries» confinées dans le conditionnement et dans l’assemblage qui nous maintiennent en marge et dans l’ombre des économies modernes, les petits boulots en guise de politique de l’emploi, le développement de la précarité. En un mot, une économie de bric et de broc.
L’impératif du Contrôle et de l’équité fiscale
Contrôle et évaluation des politiques publiques, de l’emploi des fonds publics sont devenus des modalités indissociables du fonctionnement de l’Etat démocratique moderne. Les citoyens ont besoin de s’assurer du bon emploi des fonds publics. Le besoin de transparence ressenti et revendiqué par le citoyen va de pair avec sa volonté de ne pas subir le fait du prince de technocrates ou de bureaucrates.
Une répartition juste et équitable du revenu national
En Algérie, la hiérarchie des revenus découle d’un jeu de rapports de forces qui n’a pas pour foyer essentiel le travail, les performances productives ou un paramètre synthétique équivalent qui mesurerait le mérite ou l’effort productif dans l’économie. L’économie des passe-droits, comme le régionalisme et le népotisme, sont les principaux ingrédients, à côté des rentes régaliennes, de ce mécanisme de formation des revenus où les salaires, pour une minorité, forment l’appoint, tandis qu’ils constituent la source quasi-unique sinon unique de revenus pour l’écrasante majorité.
LES DEFIS DU REDEPLOIEMENT PRODUCTIF DE L’ECONOMIE NATIONALE
Les défis qu’implique le retour à une politique de développement national enraciné, qui fait de l’emploi, une variable inductrice de croissance, et de l’insertion de la jeunesse dans la sphère économique, la priorité des priorités, sont nombreux et les chantiers multiples. D’abord, le chantier de la rénovation, modernisation et redynamisation de l’infrastructure industrielle, fruit des décennies du développement. Nous ne partons pas de zéro, en effet. L’Algérie fabrique déjà de l’acier et des produits sidérurgiques et de fonderie, des tracteurs, des moissonneuses batteuses, des camions, de la carrosserie industrielle, des chariots élévateurs, des grues, des pelles mécaniques, des moteurs électriques, des moteurs diésel, des machines outils, des pompes, des postes à souder, les réfrigérateurs, des téléviseurs, … Dès leur mise en œuvre, les premières mesures de remise en marche, à pleine capacités, des usines de production industrielle du secteur public, entraineront une dynamique d’emploi de plusieurs milliers d’ingénieurs et de dizaines de milliers d’agents d’autres catégories professionnelles. La valorisation industrielle du potentiel minier, notamment, le minerai de fer et les phosphates. La numérisation, où le secteur des TIC en Algérie en est, selon les experts à 2% à 5 %, seulement, de son potentiel.
Sécurité alimentaire, Intégration industrielle du secteur hydrocarbures, Transition énergétique, sont les autres vecteurs notables du redéploiement productif national... Sans parler du défi du développement de services publics modernes et de qualité.
--La sécurité alimentaire : un défi vital
---Construire les conditions de développement de l’intégration nationale dans le secteur énergétique
Promouvoir le «made in Algeria» sur tous les segments de l’industrie énergétique. Le premier défi est donc de mettre la politique industrielle à la hauteur de l’importance des enjeux de l’intégration nationale dans le secteur des hydrocarbures. Pour Sonatrach, cela implique une mutation considérable: passer du rôle de pourvoyeur d’énergie et de source de financement à celui d’acteur énergétique et industriel, et pourquoi ne pas le dire passer de «machine à fabriquer de l’argent» à locomotive du développement national.
---La transition énergétique
En réalité, la transition énergétique doit devenir le levier du changement structurel permettant de passer d’une économie dominée par un secteur extraverti et technologiquement enclavé coexistant avec des activités faiblement productives, où les possibilités d’évolution technologique et de gains de valeur ajoutée sont limitées, vers une économie entrainée par des activités fortement productives offrant de meilleures possibilités d’innovation et d’accroissement de la valeur ajoutée. La transition énergétique procure, ainsi, l’opportunité unique de mettre en œuvre la diversification sectorielle productive du PIB et des échanges internationaux.
Le facteur international
L’Algérie fait partie des périphéries subordonnées du capitalisme mondial, économiquement surdéterminées et politiquement instrumentalisées. On assiste, avec l’apparition d’autres acteurs sur la scène internationale, à l’amorce d’une multi polarisation et d’une reconnaissance de la diversité du monde et de sa pluralité. Le remodelage géopolitique d’envergure mondiale en cours place notre pays, devant un double impératif. D’une part, explorer le champ des possibles qu’il ouvre pour l’Algérie, du point de vue indissociable de sa perspective historique de développement national et de ses marges de manœuvre. Quelles opportunités, en effet, la dynamique économique de permutation d’hégémonie à l’échelle mondiale qui se met en mouvement, offre-t-elle de s’émanciper des rapports de puissance porteurs de logiques systémiques de dépendance et de sous-développement ? D’autre part, identifier les situations de ruptures, notamment les remises en cause de configuration d’intérêts et de positions acquises, que cette dynamique préfigure et les menaces potentielles qu’elle comporte. En substance, mettre le travail de réflexion économique à l’écoute des mouvements de fond et des inflexions majeures qui reconfigurent l’ordre mondial et qui interpellent l’Algérie en termes de formulation de paradigmes du développement national, nouveaux et en phase avec les grandes recompositions en cours et à venir. Il s’agit, en réalité, d’un chantier de recherche orienté dans une double direction: définir les transitions qu’appelle un monde en mutation, en convulsions et incertain et identifier les leviers de leur mise en œuvre. Fondamentalement, l’impasse est de naturelle structurelle et elle traduit l’impossibilité radicale d’apporter les réponses qu’exige le développement économique et social de nos pays dans le cadre de la dépendance de la mondialisation capitaliste.
La condition politique fondamentale
Mais la condition sine-qua-non de ce nouvel élan, on ne le répètera jamais, assez, est de rompre avec la démarche économique libérale ruineuse, en cours depuis une trentaine d’années, et ses pratiques mafieuses et de corruption. Le dispositif institutionnel qui a encadré les choix de classe appliqués des décennies durant, comme les mécanismes économiques et financiers qui ont servi de levier à la mise en selle de l'ordre libéral parasitaire et prédateur, sont toujours en place. Dans une convergence objective avec les forces qui dominent le Hirak, ceux qui tiennent encore dans leurs mains les institutions de l’Etat sont fondamentalement attachés à empêcher tout ce qui pourrait remettre en cause les orientations capitalistes fixées au développement économique depuis plus de trois décennies et conformes aux impératifs de la mondialisation capitaliste, occidentale ou sous tutelle khalidjie. Quant aux tenants du puissant et prolifique marché informel et de la prébende, ils ne verraient pas d’un mauvais œil, un pouvoir islamiste s’instaurer qui protègerait leurs intérêts et les légitimerait. Plus fondamentalement encore, ces trente années de réformes pour faire «basculer» l’Algérie dans l’économie de marché, c’est-à-dire dans le capitalisme, n’ont pas produit que l’impasse politique. Il en a émergé une nouvelle réalité politique, économique et sociale marquée par le poids prédominant croissant des intérêts des couches sociales acquises au capitalisme et à son idéologie. L'armée des ‘’élites de basculement’’, chargée de légitimer ces choix de classe qui nous ont menés à l'impasse actuelle, est toujours sur le pied de guerre, même si, le casse-tête chinois des élites libérales reste: Comment construire ex-nihilo les rapports sociaux capitalistes? Comment instaurer le capitalisme sans capitalistes
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